Epigénétique

Je viens de lire "La symphonie du vivant" de Joël de Rosnay. Le livre est sous-titré "Comment l'épigénétique va changer votre vie". [1]

J'y ai appris que les larves d'abeilles naissent toutes avec le même ADN, exactement, pourtant, certaines deviendront reines, d'autres nourrices ou ouvrières. [2] Tout dépend de leur nourriture. Les reines sont alimentées par la gelée royale.


L'ADN, c'est comme une partition. L'épigénétique, c'est la manière de jouer les note, un peu comme un grand orchestre va transformer l'hymne à la joie en symphonie. 


Agir en primitif


Une grande partie de l'ouvrage est consacrée à la santé. L'auteur recommande d'avoir une assiette colorée (5 fruits et légumes par jour), de faire du sport (ou de rire aux éclats), de la médiation, de la pensée positive, etc, etc... On frôle le #FakeMed avec l'allusion à la vie sociale des plantes, Ca doit être mon côté rationaliste morbide, mais en faisant du timelaps sur une demi-journée, je n'ai pas eu l'impression que la fleur et la feuille jouaient comme les jeunes pousses présentées par Stéphano Mancuso [3]. 


Elles changent juste de position en fonction de la lumière de la journée. Bref, c'est juste de la photosynthèse, et en aucun cas de l'intelligence végétale. 


Ses conseils sur la médiation m'ont rappelé la seule fois où j'ai rencontré des Raëlliens, quand j'étais en prépa à Dijon... On choisit un mantra super secret de 4 syllabes (Ga Bu Zo Meu, Glou Bi Boul Ga, etc, etc...) En le prononçant on inspire par le ventre, on attend 5 secondes, on inspire par les poumons, on attend 8 seconde, on expire tout en prononçant "Gloubiboulga". 



On recommence en fermant les yeux et en regardant le trou noir au centre de la galaxie, puis son nez, puis l'infini de nouveau. 


Ensuite, on imagine qu'une auréole fait un aller-retour en commençant par le haut de la tête jusqu'aux pieds, puis en revenant en haut, façon IRM. C'est inspiré du Yoga ou du Pranayama [4], mais bon, avec du folklore en plus...

Prévoir en stratège


En revanche, le livre devient très intéressant lorsqu'il parle de l'ADN d'internet. Nous ne sommes plus dans la société de l'information, mais dans celle de la recommandation.

En ce premier mai, si je me connecte sur twitter, je vois dans les tendances "Black Bloc". Si je clique dessus, le logiciel me recommande un article de France24 [5], certaines personnes à suivre et des sujets similaires (Tolbiac, Bastille, Jardin des plantes).


Sans cette violence, les médias auraient-ils parlé des manifestations du premier mai, n'aurait-il pas consacré la journée au Front National ?

Joël de Rosnay nous explique le rôle des mèmes, équivalant culturel du gène. L'auteur du "gène égoïste", Richard Dawkins définit le mème comme "une unité d'information contenue dans un cerveau et échangeable au sein d'une société." L'idée date des années 80. La société francophone de mémétique a été créée en 2003 [6] et le terme est entré dans le dictionnaire en 2014, peut-être grâce à Links the Sun.


Les virus informatiques sont-ils vivants ? Ils se reproduisent, ils peuvent évoluer. Par exemple, est-ce que la violence des CRS ou des Black Blocs n'est pas une espèce de virus médiatique qui permet d'effacer toute revendication politique ou étudiante [7] ?

Joël de Rosnay cite Douglas Rushkoff, et son article "Trump is a media virus" [8].  Tout a commencé par un mème, une personne qui était au bon endroit au bon moment, à Los Angeles, avec une caméra, quand un policier a tué un jeune noir. Le racisme fait partie de notre culture selon Rushkoff, car il soulève des questions que chacun se pose et qui n'ont pas vraiment de réponse. Trump s'est contenté de surfer sur ce mème, sur cette culture, un peu comme un virus envahit un organisme. Peu importe ce qu'il dit, ce qu'il pense, qu'on le critique, le virus médiatique se reproduit à partir du moment où le mème est lâché. La star est là, elle fait de l'audience, il n'y a aucune réponse immunitaire du système tant que le virus n'agit pas, tant que Trump apparaît comme un clown.


Comme nous pouvons améliorer notre santé en marmonnant gloubiboulga pendant que l'on mange 5 fruits et légumes par jour, les citoyens peuvent-ils agir sur l'ADN d'internet, semer des graines de pissenlit, créer des mèmes, empêcher la prolifération des tweets de Trump ?

Joël de Rosnay cite l'exemple du compte aux Bahamas de Macron. Entre 23h et 5h du matin, l'équipe du candidat à la présidentielle est parvenue à identifier l'auteur de la Fake News, ce qui a stoppé sa propagation. Il est également probable par exemple que le discours peu laïque des Bernardins, avec tous les mèmes catholiques les plus répandus soit un outil pour attirer la foudre de tous (sauf Christine Boutin) et diminuer l'ampleur des revendications des grévistes de la SNCF par exemple.

Grèves de la SNCF au moi de mai 2018
La conclusion de l'auteur est que pour être efficace, l'épigénétique citoyenne doit être organisée, par exemple comme dans l'économie solidaire. Comme beaucoup, je suis restée scotchée devant les chaînes d'infos en fin d'après-midi. J'ai eu l'impression que les anarchistes étaient très organisés, alors que les CRS ne l'étaient pas. En entendant le journaliste s'étonner que les pompiers ne soient pas en train d'éteindre le feu de voiture qu'il était en train de filmer, j'ai pensé que c'était le 1er mai, la fête du travail, et que les pompiers étaient des humains, pas forcément partisans de le politique pour les très riches de Macron. Est-ce un espoir, un peu comme le mouvement #Metoo a permit le vote d'une loi contre le harcèlement de rue ?


Joël de Rosnay admet que la pensé positive, ça ne marche pas. Notre cerveau réagit surtout au danger. Il est à l’affût des mauvaises nouvelles, des images noires. Les chaînes d'info l'ont bien compris. L'ouvrage est résolument optimiste. Sans être un géant du net, ou un état censurant les informations, nous pouvons également agir pour éviter la prolifération des tweets de Trump, simplement en en les commentant pas. Il invite à analyser chacune de nos actions, et à se demander ce que cela apporte. Ce n'est pas parce que nous sommes nés avec un certain patrimoine génétique, dans un certain environnement que nous sommes condamnés à devenir des abeilles ouvrières.


"Agir en primitif, prévoir en stratège", les paroles de René Char, extraites des feuillets d'Hypnos (1943-1944), ont été taguées sur les murs de Paris aujourd'hui. Elles résument assez bien 'La symphonie du vivant". Faire attention à nos besoins primitifs en matière de santé, et se comporter en stratège sur les réseaux sociaux, comme un système immunitaire contre l'antisémitique ou le dogmatisme catholique utilisé contre les résistants. 
  1. De Rosnay J, La symphonie du vivant, Les liens qui libèrent, 2018
  2. Perrier JJ, Comment l’abeille devient reine, Pour la Science, 2010
  3. Mancuso S, Les racines de l'intelligence végétale, TED Talk 2010
  4. Universal Breathing - Pranayama Free
  5. Paris May Day march marred by violence, France 24, Mai 2018
  6. https://www.memetique.org/
  7. Mouvement étudiant : Censier évacué, la police redoute des « troubles » le 1er Mai, Le Monde, 30 avril 2018. 
  8. Douglas Rushkoff, Trump is a media virus

Commentaires

Lily a dit…
Merci pour ces réflexions inspirantes une fois encore :)