Amok

Nos voisins allemands ont utilisé le terme "Amok" ou "Amoklauf" pour parler du germano-iranien qui a tué 9 personnes à Munich le 23 juillet ou des deux assassins du père Jacques Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray le 26 juillet.

Ce terme est connu en France grâce à la nouvelle de Stefan Zweig, que l'on trouve dans toutes les bonnes librairies (pour moi, c'était Decitre à Lyon), voire les gare SNCF.


Voyage et folie

Le titre original de la nouvelle publiée en 1922 est "Der AmokLaüfer". Il n'est pas question de djihad ou de faire sa hijra, mais l'exotisme, les difficultés d'intégration, l'opium sont très présents. L'histoire se déroule sur un bateau qui revient des Indes. Le narrateur se croit seul sur le pont, quand il s'aperçoit qu'un autre voyageur préfère le silence de la nuit aux festivités et cancans du jour. Ce voyageur a été médecin dans un petit village. Il décrit ainsi l'arrivée des Européens : 
"La force vous manque vite ; la fièvre -on a beau avaler autant de quinine que l'on peut, on l'attrape quand même-, elle vous dévore le corps;"


Il poursuit : 
Un européen est, en quelque sorte, arraché à son être quand, venant des grandes villes, il arrive dans une de ces maudites stations perdues dans le marais ; tôt ou tard, chacun reçoit le coup fatal : les uns boivent, les autres fument de l'opium, d'autres ne pensent qu'à donner des coups et deviennent des brutes ; de toute façon, chacun contracte sa folie. (page 39)
Ça, c'était en 1922, pour des adultes ayant délibérément choisi de vivre dans les colonies, sans aucun prédicateur, ni aucune propagande. On imagine l'état de folie dans lequel doit se trouver un jeune qui a décidé d'un coup de tête de quitter le lycée, sa famille pour la Syrie.

L'amok ou la rage humaine

Le médecin relate ensuite la venue d'une femme blanche dans son trou maudit, puis la discussion qui l'a rendu "amok". Le terme est défini ainsi page 60 : 

C'est plus que de l'ivresse... c'est de la folie... une sorte de rage humaine... une crise de monomanie meurtrière et insensée, à laquelle aucune intoxication alcoolique ne peut se comparer. 
Puis un peu plus loin : 
Donc l'amok... oui l'amok, voici ce que c'est : un Malais, n'importe quel brave homme plein de douceur est en train de boire paisiblement son breuvage... il est là, a apathiquement assis, indifférent et sans énergie... tout comme j'étais assis dans ma chambre... et soudain, il bondit, saisit son poignard et se précipite dans la rue... il court tout droit devant lui, toujours devant lui, sans savoir où... Ce qui passe sur son chemin, il l'abat avec son kris, et l'odeur du sang le rend encore plus violent. [..] il assomme tout ce qu'il rencontre... jusqu'à ce qu'on l'abatte comme un chien enragé ou qu'il s'effondre anéanti et tout écumant. 
Cette description évoque l'attentat de Nice, mais aussi toutes les attaques à l'arme blanche plus ou moins revendiquées par Daech. Les symptômes sont les mêmes. 


L'éloge de la fuite ?

Le médecin précise qu'il ne connait pas la cause de ce comportement, comme on ne comprend pas pourquoi certains fuient vers la Syrie avant de fuir en France soit pour échapper à Daech, soit pour commettre un attentat. 
Cependant, cela fait un siècle que des hommes deviennent des amoks, un siècle qu'ils représentent un grand danger pour leur société. Lorsqu'il s'agit de la folie de Malais en Malaisie, c'est juste un fait divers. En revanche, quand il s'agit de franco-tunisien à Nice, ou d'un germano-iranien à Munich, que chacun de nous peut être potentiellement victime, on aimerait bien que les médecins aient trouvé des remèdes contre le fait de devenir amok. 

Si cette rage humaine est provoquée par des problèmes d'intégration dans des "trous maudits", ou plus généralement dans des sociétés où règnent laïcité, liberté, égalité, fraternité, culture, art... on aura encore des bourgeons d'intégrisme, de djihadismes qui vont fleurir ici ou là. 

Récit intemporel

La nouvelle de Zweig a traversé les décennies. Elle apporte un éclairage intéressant sur l'actualité. Le médecin, l'amok, parle à la première personne. On comprend quels sont les déclencheurs de ses accès de folie, de ses courses effrénées  et irréfléchies, sur lesquelles il revient ensuite en se demandant pourquoi il a agit comme ça ou quels sont les sentiments qui l'ont traversé pendant son acte.


"Le point positif du djihadiste, c'est qu'il ne sert qu'une fois" a écrit je ne sais plus quel humoriste. Et même si l'un d'entre eux survivait, aurait-il assez de culture pour raconter, pour décrire sont état d'amok, pour essayer d'en comprendre les raisons ? J'en doute, vu qu'ils sont en rupture avec la littérature, et que les dogmes religieux les empêchent de faire un travail sur eux-mêmes, de réfléchir à leurs comportement. Le récit de Stefan Zweig est précieux. Le terme "amok" semble plus exact que tout ce que l'on a utilisé en français : déséquilibré, fou, islamiste radical, salafiste... mais qui était très gentil à l'école ou le plus sympathiques des voisins.



A défaut de comprendre ce qui provoque ces états de folie passagère, comment soigner, comment réparer, comment rendre ce qui a été volé, même si l'on ne ramènera personne à la vie.


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